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Transparence et démocratie / Cellule Déméter

Cellule Déméter : l’inquiétant bras armé au service de l’agriculture conventionnelle

Fruit d'un partenariat entre la gendarmerie et les deux syndicats agricoles majoritaires, cette cellule assimile la critique du modèle agricole conventionnel à un dénigrement de tous les agriculteurs. En cherchant à museler les défenseurs d'une agriculture durable, elle représente un danger pour la démocratie et pour l'environnement.

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Date : 9 avril 2021

Les critiques à l’encontre des ravages de l’agro-industrie sur l’environnement, la biodiversité ou la santé s’accumulent, tant du côté de la société civile que de la communauté scientifique. Face à cette remise en cause de plus en plus pressante du modèle conventionnel, l’agro-industrie a orchestré un glissement sémantique permettant de qualifier toute forme de critique en dénigrement répréhensible des agriculteurs.

Orchestrée par le gouvernement, cette chasse à l’ « agribashing » – terme controversé – a notamment donné naissance en octobre 2019 à la cellule Déméter, chargée du « suivi des atteintes au monde agricole ». Une mission qui cible indifféremment infractions et simples actes de dénonciation idéologique, et a donné naissance à un véritable dispositif de surveillance des voix critiques du modèle agricole conventionnel, dont la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs (JA) sont les fervents défenseurs.

gendarmerie crédit NeydtStock Shutterstock

La cellule Déméter acte le partenariat entre la gendarmerie nationale et les syndicats agricoles FNSEA et JA pour lutter contre les actes malveillants envers les agriculteurs. Dans les faits, ce sont plutôt les militants et associations écologistes qui sont visés. ©NeydtStock/Shutterstock

Une cellule de renseignement

Créée par la direction générale de la gendarmerie, la cellule de renseignement Déméter a été mise en œuvre grâce à une convention de partenariat conclue entre l’ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire, et les JA, son pendant dédié aux agriculteurs de moins de 35 ans. Etienne Gangneron, le vice-président de la FNSEA, a publiquement admis que son syndicat était à l’origine de la création de la cellule Déméter, pensée comme le fer de lance de la lutte contre l’« agribashing ».

Cet accord, rendu public par le quotidien Le Monde, acte la collaboration entre ces deux syndicats et la gendarmerie nationale. Il donne officiellement pour mandat à Déméter de « mieux protéger nos agriculteurs » contre des actes déjà réprimés par la loi : cambriolages, vols, dégradations… Mais également contre les « actions de nature idéologique », y compris « de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole », qui relèvent de la liberté de penser et d’expression. Ce sont les mots employés par le dossier de presse du gouvernementPrésentation de « DEMETER », la cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole.Site du ministère de l'Intérieur. .

Faux problèmes et objectifs idéologiques

Présentée comme une réponse nécessaire face à l’aggravation supposée du nombre de menaces, intimidations et actes malveillants envers le monde agricole, la cellule Déméter cible en réalité un faux-problème. Selon les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur, ces actes ont au contraire baissé. Les vols avec violence sur les exploitations agricoles ont par exemple diminué de 31 % en 2019 (sur 440 000 exploitations agricoles, les plaintes ont porté sur 314 tracteurs volés, 24 vols avec violence, 657 voitures dérobées). Et selon le média Reporterre, qui s’appuie sur les chiffres de la gendarmerie nationale, « seulement une vingtaine de cas d’intrusions dans des élevages ou libérations d’animaux par des militants antispécistes ont été comptés parmi les infractions » en 2019Reporterre, 22 février 2020 :Déméter, la cellule de la gendarmerie qui surveille les opposants à l’agriculture productiviste. Des chiffres qui justifient difficilement la création d’une cellule particulière concernant la délinquance en milieu agricole.

De l’aveu même d’Etienne Gangneron, l’objectif de Déméter est d’« observer de très près »Voir l’article deReporterre. les activités des militants écologistes et associations environnementales. POLLINIS estime que la convention de partenariat qui préside aux activités de Déméter et qui mentionne la lutte contre le « dénigrement » agricole, ne respecte pas la liberté de communiquer des informations ou des idées, consacrée par la Constitution française et par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cet article précise que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. »

Le combat de POLLINIS

POLLINIS a déposé en avril 2020, aux côtés de l’association Générations futures, un recours devant le tribunal administratif de Paris demandant la dissolution du partenariat conclu entre le ministère de l’intérieur, la FNSEA et JA qui permet la mise en œuvre de la cellule Déméter. À ce jour (8 avril 2021), l’instruction est toujours en cours.

Dans le recours qu’elle a déposé pour les deux associations, Maître Corinne Lepage dénonce l’atteinte à la liberté de communication et au secret de l’instruction et des enquêtes. Elle dénonce également la rupture d’égalité entre les syndicats agricoles représentatifs et la délégation grave des missions de police administrative à des acteurs privés.

L’« agribashing », une invention de l’agro-industrie

Inventé par les tenants de l’agriculture conventionnelle, l’« agribashing » – terme qui désigne le dénigrement systématique dont le monde agricole serait victime – fait sa première apparition sur les réseaux sociaux en 2014, relève une étude commandée par l’association CCFD-Terre Solidaire en 2020Agence Saper Vedere :Comment la notion d'agribashing s'est-elle propagée à travers les réseaux sociaux ?.

Initialement utilisé par Yann Martin, un agriculteur qui se décrit comme « engagé en faveur du glyphosate et des OGM », ce mot est ensuite repris par Gil Rivière-Wekstein, à la tête d’une agence de conseil et directeur de la revue pro-pesticides Agriculture et Environnement. Il est utilisé par la FNSEA dès 2017, lorsque le syndicat s’oppose à l’annonce d’Emmanuel Macron d’interdire progressivement le glyphosate, avant de s’imposer dans le vocabulaire gouvernemental, par la voix de Didier Guillaume, alors ministre de l’Agriculture. « L’agribashing s’est transformé en arme pour lutter contre la transition agricole, toute demande en faveur d’un changement de système agricole étant immédiatement assimilée à une attaque contre les agriculteurs », explique l’étude de CCFD-Terre Solidaire. Le terme est désormais utilisé à l’envi par l’industrie agro-chimique dès que la dangerosité pour l’homme et pour la biodiversité de ses produits phytosanitaires est mise en avant.

Intimidations inquiétantes et dérive sécuritaire

Depuis l’entrée en vigueur de ce partenariat, la gendarmerie a multiplié les interventions assimilables à des actes d’intimidation envers des personnes opposées au modèle de l’agriculture conventionnelle. En décembre 2019, le président de l’association Alerte Pesticides Haute-Gironde a ainsi reçu la visite de gendarmes qui l’ont interrogé sur une conférence organisée par l’association quelques mois plus tôt. En février 2020, la gendarmerie a imposé sa présence à une réunion de préparation d’actions en vue de la « Semaine pour les alternatives aux pesticides », organisée par des militants dans le département du Tarn. Le 2 juin 2020, un porte-parole de l’association Sources et rivières du Limousin a été convoqué par la gendarmerie d’Egletons (Corrèze) pour violation de propriété privée, car il avait été interviewé sur un site devant accueillir des serres industrielles à tomates hors sol dont il dénonçait l’installation.

La création de Déméter s’inscrit dans une démarche plus globale visant à renforcer l’arsenal coercitif à l’encontre des individus ou associations qui remettent en cause le modèle de l’agriculture productivistePOLLINIS, mars 2021.Les procédures bâillons : arme de dissuasion contre les opposants aux pesticides.. En 2019, l’ancien ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, créait dans son département de la Drôme un « observatoire de l’agribashing ». Cette initiative a incité le gouvernement à doter de telles structures l’ensemble du territoire français qui en compte actuellement une vingtaine.

De son côté, l’actuel ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a affirmé, lors d’un déplacement dans l’Allier début mars 2021, que la cellule Déméter n’était « probablement pas suffisante » pour lutter contre la délinquance agricole. Selon une information du média Contexte, il a également ajouté qu’il envisageait de renforcer la coopération entre les forces de l’ordre et les agriculteurs. Par sa démarche répressive, le gouvernement crée ainsi un climat de plus en plus délétère pour les défenseurs d’une agriculture respectueuse de la biodiversité.


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