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Pesticides / SDHI

PESTICIDES SDHI : UNE BOMBE À RETARDEMENT POUR LES ABEILLES ET L’ENVIRONNEMENT

Utilisés massivement en agriculture depuis 2014, les SDHI bloquent la respiration cellulaire des champignons, mais aussi potentiellement de nombreux êtres vivants. Un risque sanitaire et environ- nemental considérable, que les protocoles d’homologation actuels ne permettent pas d’évaluer.

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Date : 3 novembre 2018

Les fongicides SDHI sont utilisés pour détruire les champignons et moisissures des cultures et des semences. Ces molécules bloquent la succinate déshydrogénase (SDH), une enzyme des mitochondries, composantes des cellules. Lorsque cette enzyme est inhibée, le processus de respiration cellulaire est interrompu et les cellules des champignons meurent. Des bactéries jusqu’aux mammifères, cette enzyme SDH est présente dans les cellules de presque tous les êtres vivants. Chez l’Homme, les perturbations de la SDH peuvent provoquer des atteintes neurologiques, des cardiopathies, des tumeurs, des cancersFavier, J., et al. 2005. Hereditary paraganglioma/Pheochromocytoma and Inherited Succinate Dehydrogenase Deficiency. Hormone Research.

Omniprésents dans nos champs et nos assiettes

Les pesticides SDHI de première génération ont été conçus dans les années 1960 et ciblaient déjà la chaîne respiratoire. Ils ont été progressivement retirés du marché (probablement à cause de leur dangerosité ou de résistances développées par les champignons ). De nouveaux fongicides SDHI, dont certains à large spectre (non sélectifs), ont été mis sur le marché au début des années 2000. Une vingtaine de molécules sont actuellement commercialisées : le boscalid (voir encadré), le fluopyram (Bayer), ou le fluxapyroxad. Depuis 2014, ces SDHI sont déversés à grande échelle dans les champs : en France, 70 % des cultures de blé tendre et 80 % des cultures d’orge.

TRACTEUR-PESTICIDES (1)

Depuis 2014, les fongicides SDHI sont déversés à grande échelle sur les cultures. Pourtant, des scientifiques ont démontré que les tests d’homologation qui ont permis leur mise sur le marché sont inadaptés et ne détectent pas la toxicité de ces molécules.

En traitement de semences, épandage ou pulvérisation, on utilise ces substances dans les cultures de tournesol, colza, maïs ; les fruits (vigne, abricot, cerise, fraise, pêche, pomme, tomate…) et les légumes (choux, carotte, poireau, salade, pomme de terre…).

Des molécules non sélectives et persistantes

Très difficilement dégradables, les molécules SDHI persistent et s’accumulent dans les milieux, contaminant les écosystèmes SAgE Pesticides 2018. Le fluopyram par exemple peut persister jusqu’à quatre ans dans certains sols University of Hertfordshire, 2018. Ces substances sont aussi toxiques pour le milieu aquatique, où elles peuvent entraîner des malformations ou la mort d’embryons chez les amphibiens Li, D., et al., 2016. Strong lethality and teratogenicity (…). Environmental Pollution. .

Des scientifiques alarmés

Les SDHI ont passé les tests d’homologation, préalables à leur mise sur le marché.  Censées évaluer la toxicité pour la santé et la biodiversité, ces études sont produites et financées par les industriels qui commercialisent ces produits, puis soumises pour validation aux autorités européennes et françaises compétentes (l’EFSA et l’ANSES).

Mais en 2017, des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), spécialistes des mitochondries, apprennent l’existence de ces fongicides et testent certaines molécules : ils découvrent qu’elles ne sont pas spécifiques aux champignons mais agissent également sur la respiration de cellules humaines et de cellules de vers de terre.

Ces scientifiques s’aperçoivent également que les tests d’homologation sont inadéquats, et n’offrent aucune garantie quant à l’innocuité de ces molécules. En effet, l’action des SDHI sur les cellules pourrait entraîner des dérégulations épigénétiquesDérégulation de l’expression des gènes, n’impliquant pas de modifications de la séquence d’ADN., ce que les tests d’évaluation ne recherchent pas. Les protocoles actuels n’évaluent pas non plus les effets de l’exposition sur le long terme.

DES TESTS INADÉQUATS SUR LES POLLINISATEURS

 

Les SDHI sont classifiés comme étant « à faible risque pour les abeilles ». Pourtant, les pollinisateurs, maillon essentiel des écosystèmes, ne sont pas épargnés par ces molécules. Le boscalid, l’un des SDHI les plus étudiés, se montre toxique pour les abeilles domestiques et sauvagesKopit et al. 2021. Effects of Provision Type and Pesticide Exposure on the Larval Development of Osmia lignaria. Environmental EntomologyFisher, A. et al., 2021. The active ingredients of a mitotoxic fungicide (…).
Ecotoxicology and Environmental Safety
. La consommation de Pristine, un fongicide composé de boscalid, réduit significativement la durée de vie des ouvrières et la taille de la colonie, avec des effets sur la santé observés même aux doses les plus faiblesFisher, A. et al. 2021. Field cross-fostering and in vitro (…). Ecotoxicology and Environmental Safety..
Les tests d’homologation menés sur les abeilles restent très insuffisants. Dans le cas du boscalid, le test de toxicité chronique n’est mené que sur 10 jours, alors que les effets toxiques les plus importants se manifestent après 17-18 jours d’expositionSimon-Delso, N. et al., 2018. Time-to-death approach des abeilles to reveal chronic and (…). Scientific Reports.. La toxicité est aussi renforcée par une exposition prolongée, sachant que le boscalid est le fongicide le plus fréquemment retrouvé dans les ruches. D’autres données montrent une perturbation des abeilles solitaires qui ne parviennent plus à retrouver leur nid. L’épandage de SDHI associé à celui d’insecticides peut doubler l’effet toxique de ces derniersTsvetkov, N., et al., 2017. Chronic exposure (…).Scientific Reports. Mais les tests réglementaires ne prennent en considération ni les synergies, ni les effets cocktail entre les différents produits répandus dans l’environnement.

Le déni des autorités sanitaires

Les chercheurs de l’Inserm ont donc alerté l’ANSES à l’automne 2017. Six mois plus tard, devant le manque de réaction de l’agence, ils ont publié avec une dizaine de chercheurs du CNRS, de l’Inserm et de l’INRAE une tribune sans appel dans la presse: « Sur la base de nos tout récents résultats et pour ne pas reproduire les erreurs du passé, nous appelons à suspendre l’utilisation (des SDHI) tant qu’une estimation des dangers et des risques n’aura pas été réalisée par des organismes publics indépendants des industriels distribuant ces composés et des agences ayant précédemment donné les autorisations de mise sur le marché des SDHI Tribune dans Libération 2018/04/15».

Cependant avoir finalement lancé une expertise, se fondant principalement sur les évaluations officielles, l’ANSES conclut en janvier 2019, à « l’absence d’éléments » pour appliquer le principe de précaution.

Des tests d’homologation obsolètes et inadaptés

En novembre de la même année, une étude scientifique publiée dans Plos One met pourtant en évidence le fait que huit molécules SDHI sont capables in vitro de bloquer la SDH du ver de terre, de l’abeille et de cellules humaines. Cette étude montre également que les conditions des tests règlementaires masquent en réalité un effet très important des SDHI sur des cellules humaines : un stress oxydatif dans ces cellules, menant à leur mort. La toxicité réelle des SDHI ne peut donc pas être détectée lors du processus d’homologation officiel, et passe donc sous le radar des agences.

Alors que les fongicides SDHI sont toujours sur le marché, les études sur les divers effets néfastes de ces molécules se multiplient depuis. Abeilles, poissons zèbreDe multiples effets toxiques sont répertoriés sur le poisson zèbre ( toxicité pour le développement,  lésions hépatiques et rénales, stress oxydatif,  mort cellulaire…).International Journal of Molecular Sciences., rats, vers de terre, cellules humaines… les données récentes montrent désormais que ces substances peuvent affecter les cellules de nombreux organismes vivants.

L’action de POLLINIS

 

POLLINIS demande le retrait immédiat des SDHI au nom du principe de précaution. En parallèle, devant l’urgence et la lenteur de réaction des autorités sanitaires, l’association a :

  •  financé des études scientifiques indépendantes pour permettre aux chercheurs d’évaluer les effets réels des SDHI sur les pollinisateurs, les vers de terre et les cellules humaines ;
  • lancé une pétition citoyenne, qui a recueilli plus de 400 000 signatures, pour demander aux instances de l’Union européenne un retrait immédiat des fongicides SDHI, tant que des tests additionnels tenant compte de leurs mécanismes de toxicité propres n’auront pas été menés ;
  • déposé avec Paule Bénit et Pierre Rustin une pétition auprès de la commission PETI du Parlement européen, permettant de relayer l’alerte auprès des eurodéputés et d’assurer un suivi du sujet.

 

 

DU BOSCALID DANS NOTRE ALIMENTATION

 

Issu de la recherche BASF, le boscalid a été autorisé dans l’Union européenne en 2008. Cette substance active est vendue en France dans une cinquantaine de produits (Pulco, Flanbi, Kawa, Bosca, Boss, Cantus…). Présent dans les eaux de surface, le boscalid est également l’un des deux fongicides les plus quantifiés dans l’air en PACA et dans l’IsèreÉtudes Air PACA novembre 2017 et ATMO Auvergne Rhône Alpes 2015.. Dans les sols, un an après la dernière application de boscalid, l’abondance et la biomasse des vers de terre diminue de 30 %Base de données AGRITOX de l’ANSES.

Selon l’EFSA, l’autorité sanitaire européenne, ce SDHI est le résidu de pesticide le plus fréquemment quantifié dans nos alimentsEFSA avril 2017. On le retrouve dans la moitié des échantillons de fraises testés, 71 % des salades, 86 % des mueslis non biosEnquêtes EXPERT, Générations Futures, 2015, 2016

L’autorité sanitaire américaine (EPA) classe cette molécule dans la catégorie « probablement cancérogène »US-EPA,2003a US-EPA, 2012
INERIS : BOSCALID – n° CAS : 188425-85-6.
et son évaluation de 2003 suggère un impact sur l’activité endocrinienne.

L’autorisation du boscalid expirait le 31/07/2018, mais depuis la Commission européenne et les États membres prolongent chaque année son autorisation, sans que le processus de réévaluation de sa toxicité, pourtant obligatoire, n’ait été finalisé.